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Apiculture pour tous - Abbé Warré

Chapitre 3
L’apiculture est une bonne école

Le bonheur, a dit Coppée, c’est d’en donner. Bonheur acquis pour les âmes d’élite. Or, ce bonheur n’est pas toujours possible, mais on peut trouver un bonheur considérable dans la nature.

La fleur c’est la beauté qui se rajeunit sans arrêt. Le chien c’est la fidélité sans borne, même dans l’infortune, la reconnaissance sans oubli. L’abeille c’est une maîtresse et charmante éducatrice. Elle donne l’exemple d’une vie sage et raisonnée qui console des contrariétés de la vie.

L’abeille se contente de la nourriture que lui fournit la nature aux alentours de sa ruche, sans y rien ajouter, sans en rien retrancher. Pas de plats cuisinés, pas de primeurs d’outre-mer.

L’abeille, si riche soit-elle de provisions, ne consomme que ce qui lui est strictement nécessaire. Pas d’excès de table.

L’abeille se sert de son terrible aiguillon, et jusqu’à la mort, pour défendre sa famille et ses provisions. Ailleurs, même quand elle butine, elle cède aux hommes et aux animaux la place dont ils ont besoin, pacifiquement, sans récrimination, sans lutte. C’est une pacifiste sans faiblesse.

Chaque abeille a sa besogne, conforme à son âge et à ses aptitudes. Elle la remplit sans envie, sans révolte et sans colère. Pour l’abeille, il n’y a pas de travail humiliant.

La reine, inlassablement, pond, assurant ainsi la perpétuité de la race. Les ouvrières, avec amour, partagent leur activité entre les tendres larves, espoirs des essaims futurs, et les champs embaumés où, de l’aube au crépuscule, s’opère la récolte du miel. Point deplace, dans le bourdonnant essaim, pour les inutiles. Pas de parlementaires ; car ce peuple discret n’a pas le goût des lois nouvelles ni le loisir des discours vains.

Nous appelons reine l’abeille pondeuse. C’est indûment. Il n’y a ni roi, ni reine, ni dictateur dans la ruche. Personne ne commande, mais tous travaillent dans l’intérêt commun. Pas d’égoïsme.

L’abeille observe la loi aussi hygiénique qu’impérieuse, loi souvent oubliée par les hommes : « C’est à la sueur de ton front que tu gagneras ton pain.  » Et je constate que la sueur de l’abeille, tout en assainissant son corps, lui est encore d’une autre utilité. Sa sueur, en se changeant en paillettes de cire, fournit à l’abeille les matériaux qui lui serviront à construire ses admirables cellules : grenier sain pour ses provisions, doux berceau pour sa progéniture. Tant il est vrai que l’observation des lois naturelles est toujours récompensée.

Et l’abeille travaille sans répit, jour et nuit. Elle ne prend de repos que lorsque le travail fait défaut. Pas même de repos hebdomadaire. Chez les abeilles il n’y a ni rentiers ni retraités.

Et voyez la devise de l’abeille qu’a chantée Théodore Botrel

J’ai dit un jour à l’abeille
Repose-toi donc un peu,
T’efforçant d’être pareille
À ce gai papillon bleu
Sur la rose ou la pensée,
Vois, il pâme en rêvassant
Oui... mais, moi, je suis pressée,
M’a dit l’abeille, en passant.
Lui montrant la libellule,
Je lui dis, un autre jour
Viens, de l’aube au crépuscule,
Danser comme elle, à ton tour
Ne l’admires-tu, subtile,
Valsant, là-bas, sur l’étang ?
Si... mais, moi, je suis utile
M’a dit l’abeille, en partant.
Hier, enfin, devant la porte
De son petit temple d’or
Je l’aperçus, demi-morte,
Lourde de son pollen encore :
Repose-toi, pauvre bête
Lui dis-je en la secourant
Oui... puisque ma tâche est faite,
M’a dit l’abeille, en mourant.

travail

Ce que j’admire le plus chez l’abeille, a dit Henry Bordeaux, c’est son oubli d’elle-même : elle se donne tout entière à une œuvre dont elle ne jouira pas : joie dans l’effort et don de soi.

Et pour moi les abeilles sont ce qu’étaient les oiseaux pour André Theuriet.

Quand j’entends les abeilles bourdonner dans la feuillée, je songe, avec une douce émotion, qu’elles chantent de la même façon que celles que j’écoutais dans mon enfance, au jardin paternel.

Les abeilles ont cela de bon qu’elles semblent toujours être les mêmes. Des années passent, on devient vieux, on voit ses amis disparaître, les révolutions changer la face des choses, les illusions tomber l’une après l’autre, et, cependant, parmi les fleurs, les abeilles qu’on a connues dès l’enfance modulent les mêmes phrases musicales, avec la même voix fraîche. Le tempsne semble pas mordre sur elles, et, comme elles se cachent pour mourir, comme nous n’assistons jamais à leur agonie, nous pouvons nous figurer presque que nous avons toujours devant les yeux celles qui ont enchanté notre première jeunesse, celles aussi qui, pendant notre longue existence, nous ont procuré les heures les plus agréables et les amitiés les plus rares.

Comme l’a dit un amant de la nature : Heureux celui qui, le soir, couché dans l’herbe auprès du rucher, en compagnie de son chien, a entendu le chant des abeilles se mariant au cri-cri des grillons, au bruit du vent dans les arbres, au scintillement des étoiles, à la marche lente des nuages !

 


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