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Apiculture pour tous - Abbé Warré

Chapitre 54
L’extraction du miel

Le miel est au laboratoire, tel que nous l’avons pris dans les ruches, c’est-à-dire encore enfermé dans les cellules des rayons de cire et recouvert de ses opercules de cire.

Miel en rayons

On peut vendre ce miel sous cette forme ; mais il faut tenir compte que son transport est difficile, que par cette vente la cire est perdue, que le retour des hausses entraînera des frais, qu’on devra remettre une amorce aux porte-rayons.

Il ne faut pas confondre ce miel en rayons avec le miel en sections, dont je n’ai pas conseillé la production, parce qu’elle contrarie les abeilles et n’est pas rémunératrice pour l’apiculteur.

Si l’apiculteur trouve des acheteurs de miel en rayons, moins coûteux que les sections, à la récolte, il n’aura qu’à placer ces rayons en lieu sûr en attendant la vente.

Miel coulé

Le plus souvent le miel est séparé de la cire avant la vente : on lui donne le nom de miel coulé.

Le miel coulé est obtenu de trois manières : par écoulement spontané, par écoulement sous l’influence de la chaleur ou par la force centrifuge.

Extraction par écoulement spontané

On procède à cette extraction aussitôt que le miel a été apporté au laboratoire. Avec un couteau on enlève, par morceaux, tous les rayons de miel en laissant aux porte-rayons environ 1 centimètre de rayon. On met de côté les morceaux de rayons contenant du pollen. Ce pollen peut colorer le miel. On mettra également de côté les morceaux de rayons contenant du couvain, si par hasard on en trouvait.

Tous les autres morceaux de rayons sont jetés sur un tamis métallique à mailles de 4 millimètres, dans une passoire ordinaire ou sur une claie et broyés à la main ou avec le couteau. On recueille le miel dans des vases de terre ou de tôle étamée. Le miel perdrait de sa qualité dans la tôle galvanisée, le zinc et le cuivre.

Si on opère aussitôt après la récolte, le miel est encore chaud et s’écoule rapidement. Si on n’a pu faire cette extraction immédiatement après la récolte, on devra opérer dans une pièce suffisamment chauffée.

Le miel obtenu par ce procédé est communément appelé miel vierge.

Extraction par la chaleur

Quand l’écoulement spontané est arrêté, il reste encore un peu de miel dans les débris de cire. De plus, certains miels épais et visqueux ne s’écoulent pas par le procédé précédent.

On réunit tous ces débris de rayons à ceux que nous avons mis de côté, parce qu’ils contenaient du pollen ou du couvain, et on lesexpose à la chaleur du soleil ou d’un four.

Si on les expose à la chaleur du soleil, il faut couvrir le tout d’une lame de verre épais pour concentrer les rayons du soleil et empêcher les abeilles de venir piller.

Si on les expose à la chaleur d’un four, on les introduit dans le four quelques heures après la sortie du pain, ou dans le four des fourneaux de cuisine, où on doit éviter une trop grande chaleur.

Dans les deux cas, le tout fond, miel, cire, et s’égoutte dans le récipient au-dessous du tamis. Le refroidissement sépare le miel de la cire. On peut aussi traiter ainsi les opercules des rayons passés à l’extracteur. Le miel obtenu par ce procédé est de qualité inférieure.

Il sera souvent plus économique de donner tous ces débris aux colonies pauvres en provisions. Dans ce cas, notre grand nourrisseur sera des plus utiles.

Extraction par la force centrifuge

Cette extraction se fait avec un extracteur centrifuge. Elle a l’avantage de se faire plus complètement, plus rapidement et sans manipulation désagréable.

Ce procédé n’était jusqu’ici employé que pour les cadres de la ruche à cadres mobiles. Notre agencement de cages permet l’extraction des rayons de la ruche à rayons fixes. Les rayons sont d’ailleurs désoperculés dans ces cages.

Avant de passer les rayons à l’extracteur on doit enlever les opercules de cire qui recouvrent les cellules pleines en procédant comme il va être dit

Couteau à désoperculer

Pour désoperculer, on se sert d’un couteau spécial ou d’un simple couteau de cuisine. Il importe que le couteau soit propre et légèrement chaud. Il est bon d’en avoir plusieurs dont on se sert successivement et qu’on dépose aussi successivement dans une terrine d’eau chaude. La terrine sera utilement placée sur un réchaud. Le couteau doit être assez chaud pour passer facilement sous les opercules, pas assez pour les faire fondre. Il importe que l’opérateur manœuvre son couteau comme il manœuvrerait une scie, en ne le faisant couper toutefois que lorsqu’il le tire et non quand il le pousse.

Quand le couteau a passé partout, on enlève avec la pointe du même couteau les opercules qui peuvent encore se trouver dans les sinuosités du rayon.

Observation

On trouvera parfois sous le couteau des cellules remplies de pollen. Le pollen se rencontre dans les hausses de toutes les ruches. Ce n’est pas du poison, puisque les abeilles le font consommer à leurs jeunes larves. Des consommateurs aiment même à retrouver dans le miel le goût du pollen. Toutefois, pour éviter la coloration du miel, je conseille de ne pas mélanger ce pollen au miel, et pour cela de passer soigneusement, légèrement, le couteau au-dessous des opercules.

Chaleur nécessaire

Pour que l’extraction centrifuge se fasse rapidement et complètement, il importe que les rayons ne soient pas refroidis. Sinon, il faudrait les placer dans un local chaud. Le mieux est d’extraire l’après-midi les rayons retirés des ruches le matin.

D’ailleurs, la chaleur du couteau à désoperculer réchauffera le miel et de ce fait facilitera sa sortie.

Désoperculation des rayons

  1. Renverser la hausse contenant les rayons fixes de miel sur un support quelconque, deux hausses par exemple.
  2. Pour détacher les rayons des parois de la hausse, passer un couteau de chaque côté, le long des parois.
  3. Retourner la hausse pour la mettre dans sa position normale.
  4. Soulever chaque extrémité de rayon pour la dégager de la rainure (Fig. A).
  5. Prendre le porte-rayon avec le rayon (Fig. B) et le placer dans la cage n 1, qu’on a préparée sur un chevalet (Fig. C), de façon que le porte-rayon soit en haut, pour faciliter le dépôt du rayon.
  6. Retourner la cage n 1 avec le rayon, de façon que le porte-rayon soit en bas pour faciliter la désoperculation.
  7. Désoperculer la face visible du rayon.
  8. Placer la cage n 2 sur la cage n 1. Retourner, enlever la cage n 1 et désoperculer la deuxième face du rayon.
  9. Placer la cage n 3 sur le tout, de façon que le rayon se trouve entre deux tôles.
  10. Placer dans l’extracteur ces deux cages réunies et renfermant le rayon.



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Extraction du miel avec un extracteur

Toutes les cages de l’extracteur peuvent être garnies de nos cages. En tout cas, deux doivent l’être dans les extracteurs à quatre cages. Sinon, l’extracteur saute pendant l’opération. Nos cages doivent être placées dans l’extracteur de façon que le haut du rayon soit en avant quand l’extracteur sera en marche, ou en bas, quand les dimensions l’exigent, jamais en arrière.

Quand les cages de l’extracteur sont garnies, on met l’extracteur en marche doucement, puis fortement. Le miel s’échappe et frappe comme une pluie les parois de la cuve de l’extracteur. On retourne les cages et on remet l’extracteur en marche, doucement d’abord, puis plus fortement. C’est par tâtonnements qu’on arrivera à connaître le nombre de tours de manivelle nécessaires. Il dépend de la vitesse donnée au mouvement et du diamètre de la cuve de l’extracteur.

Un parcours d’un kilomètre en trois minutes pour chaque face donne un bon résultat.

Le miel, en sortant des rayons, atteint les parois de l’extracteur, puis coule au fond. Avant que le miel n’atteigne les cages et ne contrarie leur marche, on le recueille dans un épurateur.


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Fig. 54.1:Épurateur.

Observation

On peut conserver les rayons pas trop vieux, pas trop noirs, soit pour les donner à des chasses ou trévas, soit pour compléter des hausses insuffisamment bâties. Dans ces conditions on procédera ainsi à l’extraction : tourner quelques tours doucement pour dégorger une face du rayon, retourner les cages, tourner quelques tours doucement pour dégorger l’autre face du rayon, puis tourner plus vite pour achever l’extraction sur une face du rayon, retourner les cages et tourner encore vite pour achever l’extraction sur l’autre face du rayon.

Épuration

À sa sortie de l’extracteur, le miel contient des bulles d’air et de gaz divers. Il peut enfermer aussi quelques débris de pollen et d’opercules.

Pour débarrasser le miel de tous ces corps étrangers, on le fait reposer pendant quelques jours dans des récipients qu’on appelle épurateurs. Ces appareils doivent être plus hauts que larges. Un fût peut convenir pour cet usage, s’il n’est pas en chêne. Un tamis retient les plus grosses impuretés.

Par suite de la différence de densité, les matières étrangères et les gaz remontent à la surface, forment une écume qu’on enlève avant le soutirage du miel.

Lorsque aucune impureté ne remonte plus à la surface, on soutire le miel avant sa cristallisation.

Les épurateurs sont munis d’un robinet à clapet, ou, mieux d’un robinet d’huilerie.

Cristallisation

Liquide visqueux à sa sortie des rayons, le miel se solidifie et forme une masse compacte formée de cristaux plus ou moins gros. On dit alors que le miel est cristallisé ou granulé.

La température et la plante qui a fourni le miel modifient à l’infini la rapidité de la cristallisation et la grosseur du grain.

Un peu de vieux miel cristallisé mélangé à la masse peut hâter la granulation.

Conservation du miel

Le miel est très hygrométrique. Il peut absorber près de 50 % d’eau. En absorbant l’eau, le miel se liquéfie. Il fermente ensuite rapidement, prend un goût aigre et désagréable. Pour lui enlever cette aigreur et arrêter sa fermentation on doit le faire fondre au bain-marie.

Le seul moyen d’éviter tous ces ennuis, c’est de loger le miel dans des récipients à fermeture hermétique et de le placer dans un local frais.

Logement du miel

On loge le miel dans des récipients variés, principalement dans des fûts ou des seaux en bois ou en métal.

Le pin ou le sapin donnent un goût résineux au miel, le chêne lecolore, le hêtre est très recommandable.

Le cuivre et le zinc s’oxydent au contact du miel ; le fer étamé convient parfaitement à cet usage.

Les seaux et les boîtes en fer-blanc à fermeture hermétique doivent donc être préférés à tous les autres récipients.

Vente du miel

Je ne suis pas partisan des gros bénéfices. Mais j’estime que l’apiculture, comme toute autre industrie, doit être honnêtement rémunératrice. Tout travail mérite salaire.

Dans la pratique, comment l’apiculteur établira-t-il donc ses prix ?

Il acceptera tout bonnement les prix qui résultent du jeu de l’offre et de la demande.

Marcher contre ce principe, même avec de puissantes sociétés d’apiculture, c’est obliger nos clients à goûter les miels étrangers, qui ne sont pas tous mauvais ; c’est nous exposer à perdre notre miel, qui ne se conserve pas indéfiniment.

Si ces prix ne sont pas suffisamment rémunérateurs, nous nous adresserons à nos élus pour leur demander des droits de douane sur les miels étrangers. Si notre demande est justifiée, elle finira toujours par être écoutée, surtout si nous savons nous unir pour être forts. Avant tout, produisons à bon compte.

L’apiculteur devra tenir compte que le grossiste a droit à un bénéfice, le détaillant à un autre bénéfice.

L’apiculteur peut chercher à se passer de ces intermédiaires et à faire lui-même le grossiste ou le détaillant ou les deux : il en aura les bénéfices. Mais il ne doit pas leur faire concurrence.

L’apiculteur aura encore besoin longtemps des intermédiaires, il ne peut leur faire concurrence sans travailler contre lui-même. S’il oblige les intermédiaires à baisser leurs prix de vente, ces mêmes intermédiaires baisseront aussi leur prix d’achat l’année suivante. Le bénéfice de l’apiculteur n’aura donc pas de durée.

Mais il est un intermédiaire contre lequel l’apiculteur doit entamer une lutte acharnée : c’est le détaillant qui exagère ses bénéfices et empêche la consommation du miel.

Or, les miels ne sont pas également cotés dans le commerce. Comment l’apiculteur devra-t-il les classer ?

En France, il y a deux sortes de miels bien caractérisés : le miel de sainfoin, très blanc, sans goût accentué, type miel du Gâtinais ; et le miel d’origine multiple, plus ou moins coloré, plus ou moins parfumé, type miel de Narbonne. Je ne cite que pour mémoire le miel de bruyère, type miel des Landes, et le miel de sarrasin, type miel de Bretagne. Ces miels, d’une couleur rouge-brun, au goût âcre, ne sont pas des miels de table ; ils ne conviennent qu’à la fabrication du pain d’épice.

Or, le commerce paie généralement plus cher le miel dit du Gâtinais. Nous, apiculteurs, c’est le miel dit de Narbonne que nous devons classer en premier.

Dans la vente du miel, le grand obstacle c’est le sucre, dont le prix est toujours inférieur, dont la manipulation est infiniment plus facile. Comment pourrons-nous faire valoir la supériorité du miel ? En montrant sa supériorité hygiénique sur le sucre.

Or, nous sommes peu armés pour montrer la supériorité hygiénique du miel, dit du Gâtinais. Il n’a certainement pas ledéfaut d’être un produit chimique, mais le miel dit de Narbonne non plus et il a de plus des avantages réels. Le miel dit du Gâtinais a été butiné presque exclusivement sur le sainfoin, « l’herbe aux bêtes » sans propriétés hygiéniques. Le miel dit de Narbonne, au contraire, a été butiné sur un nombre incalculable de fleurs, dont beaucoup certainement sont hygiéniques et bienfaisantes.

Une étude faite à l’Université de Wisconsin par le professeur Schuette a montré que plus le miel est coloré et plus il est riche en matières minérales : fer, cuivre, manganèse. De ce fait, le miel foncé convient davantage pour prévenir et guérir l’anémie due à la mauvaise nutrition.

Falsification du miel

Il y a longtemps que l’on falsifie le miel. Hérodote, quand il fait connaître la quantité considérable de miel que produit la Lydie, ajoute qu’il s’en fabrique beaucoup plus par l’industrie de l’homme. Le Talmud parle aussi de la falsification du miel par l’eau et la farine.

Les commerçants actuels ne sont ni plus honnêtes, ni plus ignorants. C’est à ce point que la dénomination « Miel d’abeilles » ne convient plus pour désigner du miel naturel, puisqu’on en est arrivé à pouvoir obliger les abeilles à falsifier elles-mêmes le miel, en leur faisant absorber du sirop de sucre. Seule la dénomination « Miel de fleurs » peut convenir.

Pour reconnaître la falsification du miel, faire chauffer un échantillon de miel au bain-marie, de manière à le rendre bien liquide, et le bien brasser avec une cuiller en bois, puis :

  1. En faire dissoudre une cuillerée à café dans un verre à bordeaux d’eau de pluie froide, agiter fortement, laisser reposer. Il se forme peu à peu un précipité insoluble, s’il y a addition de plâtre, de brique pilée, de talc ou de craie, d’une substance minérale quelconque en un mot ;
  2. En faire fondre une cuillerée à café dans un verre à bordeaux d’eau de pluie froide, laisser reposer, ajouter 3 à 4 gouttes de teinture d’iode. Il se produit une belle coloration violette si le miel a été additionné d’amidon, bleu intense s’il l’a été de fécule ou de farine, brun s’il l’a été de dextrine ; au contraire, le liquide se colore en jaune si le miel ne contient aucune de ces substances ;
  3. En faire fondre une cuillerée à café dans un verre à bordeaux d’eau de pluie froide et agiter fortement, en battant comme on le ferait des œufs d’une omelette : le liquide mousse abondamment si le miel contient de la gélatine.

 


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